La Croisade d'Anne Buridan

Anne Buridan promène sur le monde un regard faussement naïf. Avec la foi des mystiques, elle interroge sans lassitude et, sous le prétexte d'un reportage, met à la question ses amis : des militants, héritiers de 68 (la folie surréaliste en moins), aveuglés par leurs discours et leur désir de "pouvoir ; des muets (muettes) dont le" désir est prisonnier du désir de "l'autre ; des amers, qui ricanent ;" des jésuites, qui "s'arrangent". Et puis il y a... Joël, danseur, dont la parole hésitante fait ricaner les amis d'Anne. Pourtant, il est le seul à répondre à ses questions : moins par les mots que par l'acte de danser et la passion qu'il y met. Le problème, c'est qu'Anne est une cérébrale. Elle comprend sans comprendre ce que dit Joël. Elle en fait une interprétation mystique - alors qu'il parle de travail. Au lieu de s'abandonner, elle cogite et, comme l'âne qui lui a donné son nom, meurt de faim et de soif en plein désert à mi-chemin d'un seau d'avoine et d'un seau d'eau.

Premier long métrage de Judith Cahen, La croisade d'Anne Buridan lie le burlesque et le sérieux, le frontal et le mélo, le jogging et les références à Godard ou Blanchot. Alors que les personnages s'interrogent gravement sur leurs scissions (la tête, le cour, la politique, l'intime, le collectif, l'individuel), Judith Cahen pose joyeusement une question qu'on désespérait de voir revenir à l'ordre du jour : qu'est-ce qui empêche aujourd'hui les hommes d'être grands, généreux, insatisfaits du monde ? Son film a reçu la Mention spéciale du jury, le prix du public, le prix CICAE et le prix des lycéens au "festival de Dunkerque ; le Grand Prix" et le Prix des étudiants au festival de Poitiers. - V.L.