[critique] Prima Facie : quand c’est non, c’est non !
Dans une remarquable mise en scène de Géraldine Martineau, Élodie Navarre crée la première version française de Prima Facie, de Suzie Miller. Uppercut au foie pour la culture du viol !
Des jupes jugées trop courtes au devoir conjugal, on a longtemps considéré que les victimes de violence sexuelles étaient, sinon consentantes, au moins imprudentes, voire allumeuses. Miracle de la sémantique : on commence à admettre que « non » veut dire « non », pas « peut-être », encore moins « oui, si tu insistes ». Suzie Miller s’empare de cette question du consentement avec finesse et un art consommé du suspense. Elle imagine une situation que les phallocrates trouveront scandaleuse et les frileux franchement limite : de quoi se plaignent celles qui se retrouvent dans une galère où, comme Sganarelle, elles sont montées de leur plein gré ?
Qu’allait-elle faire dans cette galère ?
Les coups que reçoit Sganarelle sont le prix de sa fourberie ; ceux que doit encaisser Tessa sont assénés par celui qui la piège : nuance ! Elle est une jeune et brillante avocate. Le prédateur qui la convoite est fringant, beau, bien né, bien élevé. Mais le porc sommeille sous le masque du gendre idéal. Comment une fille d’origine populaire, élevée dans la crasse de Liverpool, peut-elle porter plainte contre un fils de bonne famille londonienne qui a confondu viol et acquiescement ? Le texte de Suzie Miller, remarquablement traduit en français par Dominique Hollier et Séverine Magois, force à interroger ses a priori : sur un tel sujet, la gageure était de taille et la réussite est brillante.
Quelque chose doit changer
La mise en scène de Géraldine Martineau s’appuie sur l’intelligente scénographie de Salma Bordes, tout en transparence et en opacité, pour dessiner avec précision et finesse les étapes de la déréliction et du combat de Tessa, qu’Élodie Navarre interprète avec maestria. Elle passe d’une facette à l’autre de ce personnage complexe, enfant chérie de la méritocratie insolente, devenue transfuge de classe, honteuse quand il s’agit de dire l’opprobre ajouté à la douleur. « Quand l’indicible vient au jour, c’est politique. » disait Annie Ernaux lors de la remise du prix Nobel de littérature en 2022.
Prima Facie au Théâtre Montparnasse : réservez vos places avec L'Officiel des spectacles
Partager cet article sur :
Nos derniers articles
Sous le chapiteau installé Porte de Passy, la famille Gruss présente une nouvelle création mêlant héritage équestre, musique live et numéros aériens. Un spectacle qui célèbre la transmission tout en réinventant la tradition circassienne.
La comédie musicale culte créée à Broadway en 1975 revient portée par une nouvelle troupe. Force est de constater que Chicago n’a rien perdu de son mordant ni de son élégance sombre.
Sur la petite scène du Paradis du Lucernaire, Clément Vieu incarne avec une énergie virevoltante le célèbre et pourtant méconnu Walt Disney. Une intéressante réflexion sur les affres de la création.
Le Théâtre 14 invite le Centre de Recherche et de Création Théâtrale de Pau pour un diptyque théâtral en deux proverbes de Musset, accompagné d’un cycle de rencontres autour de son œuvre.





