[critique] Prima Facie : quand c’est non, c’est non !

© Fabienne Rappeneau

Dans une remarquable mise en scène de Géraldine Martineau, Élodie Navarre crée la première version française de Prima Facie, de Suzie Miller. Uppercut au foie pour la culture du viol !

Des jupes jugées trop courtes au devoir conjugal, on a longtemps considéré que les victimes de violence sexuelles étaient, sinon consentantes, au moins imprudentes, voire allumeuses. Miracle de la sémantique : on commence à admettre que « non » veut dire « non », pas « peut-être », encore moins « oui, si tu insistes ». Suzie Miller s’empare de cette question du consentement avec finesse et un art consommé du suspense. Elle imagine une situation que les phallocrates trouveront scandaleuse et les frileux franchement limite : de quoi se plaignent celles qui se retrouvent dans une galère où, comme Sganarelle, elles sont montées de leur plein gré ?

Qu’allait-elle faire dans cette galère ?

Les coups que reçoit Sganarelle sont le prix de sa fourberie ; ceux que doit encaisser Tessa sont assénés par celui qui la piège : nuance ! Elle est une jeune et brillante avocate. Le prédateur qui la convoite est fringant, beau, bien né, bien élevé. Mais le porc sommeille sous le masque du gendre idéal. Comment une fille d’origine populaire, élevée dans la crasse de Liverpool, peut-elle porter plainte contre un fils de bonne famille londonienne qui a confondu viol et acquiescement ? Le texte de Suzie Miller, remarquablement traduit en français par Dominique Hollier et Séverine Magois, force à interroger ses a priori : sur un tel sujet, la gageure était de taille et la réussite est brillante.

Quelque chose doit changer

La mise en scène de Géraldine Martineau s’appuie sur l’intelligente scénographie de Salma Bordes, tout en transparence et en opacité, pour dessiner avec précision et finesse les étapes de la déréliction et du combat de Tessa, qu’Élodie Navarre interprète avec maestria. Elle passe d’une facette à l’autre de ce personnage complexe, enfant chérie de la méritocratie insolente, devenue transfuge de classe, honteuse quand il s’agit de dire l’opprobre ajouté à la douleur. « Quand l’indicible vient au jour, c’est politique. » disait Annie Ernaux lors de la remise du prix Nobel de littérature en 2022.

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