La Grande Musique [critique] : Passer, quoi qu’il en coûte…

Cédric Vasnier © Prismo Production

La Comédie Bastille reprend la fresque historique écrite par Stéphane Guérin et mise en scène par Salomé Villiers. Entre blessures intimes et traumatismes historiques, une intéressante parabole sur le pouvoir du verbe.

Le passé, parfois, ne passe pas. Quand il n’est pas raconté, analysé et compris, il hante obstinément les corps et les comportements de ceux qui n’ont pas mis des mots sur les maux. Si les névroses individuelles rejouent la scène inaugurale du malaise, celles qui affectent le collectif font aussi hoqueter les sociétés, qui peinent à digérer les malheurs subis. Le texte habile de Stéphane Guérin se garde d’asséner des leçons de morale et d’histoire, mais suggère à l’oublieux aujourd’hui qu’il a intérêt à faire récit de son passé pour éviter l’hystérie de conversion.

Ausculter le silence

Telle est l’énigmatique maladie qui frappe les femmes de la famille d’Esther, qui sait que son prénom signifie « celle qui cache » en hébreu, mais qui ignore ce qu’elle dissimule et ce que signifie la paraplégie qui l’afflige. D’autres, avant elle, ont subi le même sort, brutalement incapables d’avancer au moment d’enfanter. Grâce au fantôme de Marcel, son arrière-grand-père déporté ressurgi des limbes de Mauthausen, grâce aussi au soutien de son frère à la folle lucidité, et à celui de son amoureux, désireux d’un avenir serein en commun, Esther finit par trouver la voie de la guérison en rendant voix aux morts disparus dans les cendriers de l’histoire.

Sortir du noir

Les comédiens interprètent avec un solide talent et une belle harmonie ces personnages en quête de la part manquante que la honte a refoulée. Chacun tâche de régler comme il le peut le dilemme qui le broie : comment choisir entre la volonté de vivre et la crainte de n’en être pas digne ? Le récit se déploie avec fluidité, et les figures qui l’incarnent sont touchantes. Les violences subies par nos ancêtres nous condamnent-elles au ressassement ? La pièce de Stéphane Guérin, qui vante les vertus salvatrices de la vérité et le pouvoir consolateur de la clarté, rappelle, comme le suggérait René Char, que « notre héritage n’est précédé d’aucun testament ».

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