Big Mother [critique] : Résistance à la servitude volontaire

Mélody Mourey met en scène avec maestria le thriller politique qu’elle a écrit sur le thème de la manipulation de l’opinion dans les démocraties ultra connectées. Glaçant, fascinant, palpitant !
« Un pouvoir immense et tutélaire, absolu, prévoyant, régulier et doux » : tel est le visage du despotisme que Tocqueville imagine en visionnaire dans De la Démocratie en Amérique. Mieux que le sévère Big Brother, la mère bienveillante aime ses enfants et travaille à leur bonheur. Elle leur ôte même le trouble de penser puisqu’elle récolte, grâce au Big Data, toutes les données qu’ils lui fournissent, en esclaves consentants, naïfs utilisateurs des réseaux sociaux. De La Boétie à Orwell, nombreux ont dénoncé les effet de la servitude volontaire : Mélody Mourey s’inscrit dans leur sillage avec une verve et une ingéniosité réjouissantes.
Gaffe aux GAFAM
Dans cette fable trépidante, le quatrième pouvoir a l’illusion d’être un rempart contre les excès des trois autres, alors qu’il est soumis à ceux qui possèdent les médias et manipulent l’opinion. La jeune Julia Robinson est journaliste au New York Investigation. Elle se retrouve au cœur de la tourmente quand elle reconnaît, au tribunal, son ancien compagnon qu’elle croyait mort. Pour élucider ce mystère, elle se lance dans une enquête qui va la conduire de Central Park à Hong Kong pour révéler un scandale politique terrifiant. Science-fiction ? Lucidité prophétique plutôt !
Théâtre total et antitotalitaire
Les six comédiens (Patrick Blandin, Pierre-Yves Bon, Ariane Brousse, Guillaume Ducreux, Marine Llado et Karina Marimon) donnent très efficacement corps à la kyrielle de personnages, alternant émotion et drôlerie avec un immense talent. Leur art de la métamorphose est époustouflant. La mise en scène mêle savamment le jeu et la danse, le naturalisme et la suggestion symbolique. Elle s’appuie sur l’ingénieuse scénographie d’Olivier Prost dont les écrans permettent des changements de décor en un clin d’œil. Les vidéos d’Edouard Granero, la musique de Simon Meuret, les lumières d’Arthur Gauvin : tout participe à faire de ce spectacle une belle, franche et enthousiasmante réussite, qui mérite amplement applaudissements et lauriers.
Big Mother au Théâtre des Béliers Parisiens : réservez vos places avec L'Officiel des spectacles
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