[critique] 37 heures : Zéro de conduite

© Marie Pétry

Elsa Adroguer interprète, avec une force et une dignité rares, l’histoire de l’emprise d’un loup sur un Petit Chaperon rouge qui voulait apprendre à conduire… Direct au cœur, uppercut au foie !

Pour qu’il y ait prédateur, il faut qu’il y ait proie. Plus la proie est tendre, meilleur est le festin. L’adolescente que campe Elsa Adroguer est une victime idéale : elle ne s’aime pas beaucoup, n’a jamais embrassé un garçon et ne va évidemment pas fâcher ses parents en abandonnant les leçons du moniteur le plus sympa de l’auto-école. La conduite accompagnée permet de réduire les accidents en offrant aux jeunes une autonomie précoce : il serait vraiment idiot de faire des histoires pour une main qui s’attarde, un mâle dominant qui s’épanche et viole une gamine venue volontairement dans l’antre du loup…

Assourdissant silence

La bête est repue, la gamine finit par savoir conduire : à la suivante ! Mais le mal est fait et personne n’a rien dit : ni les copains, à qui l’enfant n’ose pas se confier, ni les parents, qui ne voient pas, ni la société, qui préfèrent ignorer que celui qui se vante d’être un homme à femmes est un carnassier immonde. Y a-t-il vraiment eu viol, se demande le policier qui reçoit la plainte longtemps après ; la victime a-t-elle dit non ? Elsa Adroguer examine toutes ces questions à partir du récit des heures de conduite déviante, qui alterne avec celui de la compréhension tardive des violences subies, après que le traumatisme a détruit le corps et l’esprit de l’agressée.

Décence et vérité

Si Elsa Adroguer raconte crument les faits, elle réussit le tour de force de ne jamais tomber dans le graveleux ou le voyeurisme. Les allers-retours entre l’adolescence saccagée et l’âge adulte, ainsi que l’interprétation magistrale de tous les rôles de cette tragédie, font du spectateur un témoin, voire un soutien, jamais un complice. Les voix de Franck Mouget, Sylvain Galène, Philippe Du Janerand et Céleste Mouget et l’adroite scénographie de Valentine Bougouin, qui projette sur le fond de scène les repères temporels de l’histoire, soutiennent le jeu puissant et toujours juste de la comédienne. On découvre une remarquable interprète, vibrante, affûtée, précise et bouleversante.

37 heures au théâtre La Flèche : réservez vos places avec L'Officiel des spectacles

Partager cet article sur :

Nos derniers articles

L’œuvre de Laurent Gaudé est présentée pour la première fois à La Colline avec Terrasses et Le Tigre bleu de l'Euphrate, mis en scène par Denis Marleau. Deux face-à-face avec la mort.

Extraordinaire performance dans l’écrin du Théâtre de Poche-Montparnasse où Sandrine Molaro et Gilles-Vincent Kapps façonnent un bijou ! Un spectacle virtuose, intelligent et drôle, à ne pas rater !

Vincent Messager confie à la flamboyante Andréa Ferréol le rôle de la Pompe funèbre, célébrissime cocotte qui fit mourir Félix Faure de plaisir. Un spectacle plaisamment truculent, rondement mené.

La langue exubérante de Novarina dialogue avec les thèmes musicaux de Monteverdi ; Jean Bellorini et ses acteurs pneumatiques revisitent le mythe d’Orphée : un vibrant hommage au théâtre.

Newsletter

Chaque mercredi, le meilleur des sorties culturelles à Paris.