[critique] L’Antichambre : Comment l’esprit vient aux femmes

La salle à la française en chêne sculpté du Ranelagh offre un écrin idéal pour accueillir les relations entre Madame du Deffand et Julie de Lespinasse. La verve de Jean-Claude Brisville fait mouche !
D’un côté Madame du Deffand, ancien joyau de la Régence, de l’autre Julie de Lespinasse, sa nièce adultérine, qu’elle a arraché au couvent pour en faire sa lectrice. Les relations sont d’abord tendres et câlines entre celle qui connut l’aube des Lumières et l’esprit mellifère de la cour de Sceaux et celle qui deviendra la muse des Encyclopédistes et la douanière de la Coupole. Mais la vipérine marquise découvre qu’elle a réchauffé un serpent en son sein. Julie gagne en assurance et en brio et détrône sa bienfaitrice : elle réunit dans sa chambre les amis que Marie attend en son salon déserté.
L’ancienne et la moderne
L’écriture habile et déliée de Jean-Claude Brisville réussit brillamment à reconstituer la langue vive et spirituelle des salons, dont l’ennui était le pire ennemi. On suit avec bonheur les échanges entre Marie du Deffand et Julie de Lespinasse, modérés par le président Hénault, mondain affable qu’une vieille passion attache à la première et le démon de midi à la seconde. S’il garde le secret de la naissance illégitime de Julie, il ne trahit pas non plus sa soif de revanche, quand elle quitte sa protectrice devenue sa rivale. Dans cet univers où la bienséance corsette les affects, les cœurs sont percés avec classe. Celui de Madame du Deffand, condamnée à la solitude qu’aggrave sa cécité, finit exsangue.
Gracieux trio
Tristan Le Doze met en scène cette plaisante guerre en dentelles avec une ferme élégance. Céline Yvon est une Marie du Deffand à la fois acerbe et digne ; Marguerite Mousset, une Julie de Lespinasse aussi candide que retorse ; Rémy Jouvin, un président Hénault fidèle au portrait qu’en faisait d’Argenson, « au-dessous de l’insolence et au-dessus de la bassesse », trop fin pour prendre parti entre ces deux femmes de tête. Deux chaises, un tabouret et des costumes, que Jérôme Ragon semble avoir empruntés à Greuze, suffisent à camper l’ambiance de cette antichambre, où se font et défont les complots d’un monde, quand le don des femmes se mesurait à leur art de recevoir.
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