[critique] Le Prix de l'ascension : La politique, guerre par d'autres moyens

Victor Rossi reprend avec Matthew Luret la pièce qu’il a écrite et créée avec Antoine Demor. Un petit bijou théâtral, fin, vif et incisif, d’une grande intelligence et d’une implacable lucidité. Glaçant !
Il est louable pour un prince, remarquait Machiavel, d’être fidèle à sa parole et d’agir sans artifices, mais nombreux sont ceux qui grimpent dans les hauteurs par la ruse et finissent par l’emporter « sur ceux qui prenaient la loyauté pour base de toute leur conduite ». Fils de haut fonctionnaire et petit-fils de préfet, Laurent paraît prêt à trahir dès sa sortie de l’ENA : il demande à ses parents de faire jouer leur réseau pour éviter sa relégation en Creuse. Las ! Ce sera « l’Afrique sans le soleil » et les banquets de sous-préfecture… Brice est plus sympathique : fils d’assureur, il entend porter haut les vertus de la France d’en bas.
Dissimuler le renard
Mais au théâtre comme dans la vie, le visage n’est pas toujours aussi souriant que le masque. Le prolo et le grand bourgeois, jetés dans le même bain, perdent leurs couleurs d’origine : après essorage, bien malin qui saura reconnaître les torchons des serviettes. Si la vertu s’acquiert par l’éducation, il en va tout autant du vice : l’intelligent a tôt fait d’apprendre à devenir méchant. C’est peu dire que la comédie imaginée par Victor Rossi et Antoine Demor est noire ! On suit les aventures de ces deux hommes d'État avec effroi, tremblant d’y reconnaître les trahisons, les gabegies, les fourberies et le désolant cynisme de ceux que nous laissons nous gouverner.
Révéler la bête
La mise en scène de Julien Poncet s’appuie sur un travail de la lumière particulièrement soigné qui lui impose un rythme haletant. La création sonore de Raphaël Chambouvet la sert avec éclat. Saillies assassines, traits d’esprit acides ou amers, souvent émétiques : le texte est remarquable de finesse psychologique et d’efficacité dramatique. Tourbillon des passions tristes, ce thriller politique drôle et angoissant rappelle que pour vouloir le pouvoir, il faut n’aimer que soi, et qu’il n’y a d’amitié, comme disait Nietzsche, que si l’on a pour l’autre une estime supérieure à celle qu’on a pour soi-même.
Le Prix de l'ascension au Contrescarpe : réservez vos places avec L'Officiel des spectacles
Partager cet article sur :
Nos derniers articles
Du 12 juillet au 5 août 2025, la 35e édition du festival Paris l’été marque un tournant avec une cartographie étendue et un lien renouvelé avec les habitants. Un souffle neuf sur l’été parisien.
Joyau scintillant dans l’écrin de La Huchette : Patrick Alluin, Éric Chantelauze et Didier Bailly transforment avec brio le feuilleton foisonnant d’Eugène Sue en une délicieuse comédie musicale.
Le délire chevaleresque de Sébastien Azzopardi et Sacha Danino, créé en 2009, fait son grand retour au Théâtre Gaîté Rive Gauche dans une version, certes revue et adaptée, mais toujours aussi drôle et foutraque. Une comédie menée tambour battant par cinq comédiens dopés à l’absurde.
Direction musicale d’Alizé Lehon, mise en scène de Karelle Prugnaud : le Châtelet présente Histoire du soldat, de Ramuz et Stravinsky, opéra de poche circassien sur la guerre, l’amour et la mort.