[critique] Trahisons : Je t’aime, moi non plus…
Tatiana Vialle propose une version raffinée et glaçante du chef-d’œuvre de Pinter à laquelle le Théâtre de l’Œuvre offre un écrin idéal. Excellents comédiens et mise en scène au cordeau.
Jerry pensait tromper Robert avec l’élégance discrète du vainqueur, comme quand Oxford l’emporte sur Cambridge lors de la Boat Race. Mais c’est Robert qui mentait à Jerry en ayant compris, sans lui reprocher, qu’il couchait avec sa femme. Le temps venu des règlements de comptes, qui est le traître et qui est la victime ? Qui est jaloux ? Qui aime vraiment qui ? Pinter ne tranche pas et laisse au spectateur le soin d’analyser les affects ou d’y projeter les siens. Tatiana Vialle se retient également de donner le beau rôle à l’un plutôt qu’à l’autre. Elle ne juge pas, mais elle montre habilement que le mensonge est une vérité que tout le monde connaît sans la dire.
Les dessous chics
La force et l’intérêt de la pièce de Pinter tiennent à l’originalité de sa construction à rebours, qui permet d’éclairer sous un jour inédit les relations adultères. Dans ce milieu privilégié, intellectuels et artistes se trahissent et se possèdent avec toujours beaucoup d’égards : on préfère la garçonnière à l’hôtel de passe ; on choisit Venise pour comprendre qu’un couple prend l’eau ; les masques de la décence et les habitudes formatées servent d’armes et d’armures aux combattants du quotidien. Le décor, conçu par Alain Lagarde, et les belles lumières de Christian Pinaud évoquent magnifiquement ce raffinement irénique.
Fuir le bonheur
Si la musique aux accents mélancoliques de Lou et Mahut suggère que tout ne va pas au mieux dans le meilleur des mondes possibles, le jeu des comédiens s’y emploie aussi de manière extrêmement subtile. Swann Arlaud, Marc Arnaud et Marie Kauffmann, remarquables de précision et de vérité, sont presque évanescents : seuls quelques gestes à peine esquissés laissent deviner l’ardeur et l’amertume. L’interprétation de Tobias Nuytten en serveur tonitruant et bougon renforce le contraste avec ces êtres qui n’aiment le lyrisme ni en littérature, ni dans la vie. On se quitte bons amis ; on ne s’épanche que sous les effets de l’alcool ; on se retient toujours de crier, et peut-être aussi de vivre.
Trahisons au Théâtre de l'Œuvre : réservez vos places avec L'Officiel des spectacles
Partager cet article sur :
Nos derniers articles
Sous le chapiteau installé Porte de Passy, la famille Gruss présente une nouvelle création mêlant héritage équestre, musique live et numéros aériens. Un spectacle qui célèbre la transmission tout en réinventant la tradition circassienne.
La comédie musicale culte créée à Broadway en 1975 revient portée par une nouvelle troupe. Force est de constater que Chicago n’a rien perdu de son mordant ni de son élégance sombre.
Sur la petite scène du Paradis du Lucernaire, Clément Vieu incarne avec une énergie virevoltante le célèbre et pourtant méconnu Walt Disney. Une intéressante réflexion sur les affres de la création.
Le Théâtre 14 invite le Centre de Recherche et de Création Théâtrale de Pau pour un diptyque théâtral en deux proverbes de Musset, accompagné d’un cycle de rencontres autour de son œuvre.





