[critique] Trahisons : Je t’aime, moi non plus…

© Caroline Bottaro

Tatiana Vialle propose une version raffinée et glaçante du chef-d’œuvre de Pinter à laquelle le Théâtre de l’Œuvre offre un écrin idéal. Excellents comédiens et mise en scène au cordeau.

Jerry pensait tromper Robert avec l’élégance discrète du vainqueur, comme quand Oxford l’emporte sur Cambridge lors de la Boat Race. Mais c’est Robert qui mentait à Jerry en ayant compris, sans lui reprocher, qu’il couchait avec sa femme. Le temps venu des règlements de comptes, qui est le traître et qui est la victime ? Qui est jaloux ? Qui aime vraiment qui ? Pinter ne tranche pas et laisse au spectateur le soin d’analyser les affects ou d’y projeter les siens. Tatiana Vialle se retient également de donner le beau rôle à l’un plutôt qu’à l’autre. Elle ne juge pas, mais elle montre habilement que le mensonge est une vérité que tout le monde connaît sans la dire.

Les dessous chics

La force et l’intérêt de la pièce de Pinter tiennent à l’originalité de sa construction à rebours, qui permet d’éclairer sous un jour inédit les relations adultères. Dans ce milieu privilégié, intellectuels et artistes se trahissent et se possèdent avec toujours beaucoup d’égards : on préfère la garçonnière à l’hôtel de passe ; on choisit Venise pour comprendre qu’un couple prend l’eau ; les masques de la décence et les habitudes formatées servent d’armes et d’armures aux combattants du quotidien. Le décor, conçu par Alain Lagarde, et les belles lumières de Christian Pinaud évoquent magnifiquement ce raffinement irénique.

Fuir le bonheur

Si la musique aux accents mélancoliques de Lou et Mahut suggère que tout ne va pas au mieux dans le meilleur des mondes possibles, le jeu des comédiens s’y emploie aussi de manière extrêmement subtile. Swann Arlaud, Marc Arnaud et Marie Kauffmann, remarquables de précision et de vérité, sont presque évanescents : seuls quelques gestes à peine esquissés laissent deviner l’ardeur et l’amertume. L’interprétation de Tobias Nuytten en serveur tonitruant et bougon renforce le contraste avec ces êtres qui n’aiment le lyrisme ni en littérature, ni dans la vie. On se quitte bons amis ; on ne s’épanche que sous les effets de l’alcool ; on se retient toujours de crier, et peut-être aussi de vivre.

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