La Campagne [critique] : Cauchemar néorural

Sylvain Maurice met en scène de manière acérée et subtile La Campagne, de Martin Crimp, interprétée par trois comédiens magistraux. Un suspense haletant, hypnotique et terrifiant.
Richard et Corinne ont fui le bruit et la fureur de la ville pour se réfugier au milieu des champs, dans une jolie maison. On se croirait chez Virgile ; ne manquent que les moutons. Richard est devenu médecin de campagne ; Corinne l’attend au domicile familial en découpant des images à coller autour du lit des enfants. Tout baigne. Enfin, presque… D’infimes fissures lézardent le bonheur immaculé. On peine d’abord à comprendre, tant les quarantenaires fringants sont sympathiques, mais le badinage cache des tensions sourdes et tenaces. Le rêve se transforme bientôt en cauchemar et le vaudeville léger en thriller obnubilant.
Le feu sous la glace
Isabelle Carré et Emmanuel Noblet (en alternance avec Yannick Choirat) excellent à installer l’ambiance délétère qui finit par engluer l’intrigue. Les ciseaux du découpage innocent finiront-ils en arme ? L’eau fraîche n’est-elle pas empoisonnée ? Richard est-il un médecin dévoué ou un incapable à l’incurie assassine ? Corinne est-elle une bonne mère ou une psychopathe égarée ? Le mystère est étouffant, la crise couve : elle éclate avec l’arrivée de Rebecca (remarquable Manon Clavel). Richard prétend l’avoir trouvée évanouie au bord de la route. Mais qui est-elle et où est le danger ?
Visages de la perversion
La scénographie de Sylvain Maurice installe les comédiens sur une vaste table autour de laquelle tout se joue, tout se noue et tout éclate, sans que les personnages ne quittent la retenue bienséante de leur classe. On est chez les bourgeois, même s’ils sont un peu bohême. On ne crie pas, on parle bas, on est à ce point attentif à la précision du vocabulaire que chaque mot est comme une flèche acérée et mortelle. Le plus extraordinaire, dans cette mise en scène au cordeau, servie par une interprétation d’une sidérante vérité, tient sans doute au fait que l’essentiel du drame se déroule dans l’imagination du spectateur. On sort de la salle en ayant l’impression d’avoir assisté à un crime parfait dont on est l’inventeur. Glaçant !
La Campagne à La Scala Paris : réservez vos places avec L'Officiel des spectacles
Partager cet article sur :
Nos derniers articles
Du 12 juillet au 5 août 2025, la 35e édition du festival Paris l’été marque un tournant avec une cartographie étendue et un lien renouvelé avec les habitants. Un souffle neuf sur l’été parisien.
Joyau scintillant dans l’écrin de La Huchette : Patrick Alluin, Éric Chantelauze et Didier Bailly transforment avec brio le feuilleton foisonnant d’Eugène Sue en une délicieuse comédie musicale.
Le délire chevaleresque de Sébastien Azzopardi et Sacha Danino, créé en 2009, fait son grand retour au Théâtre Gaîté Rive Gauche dans une version, certes revue et adaptée, mais toujours aussi drôle et foutraque. Une comédie menée tambour battant par cinq comédiens dopés à l’absurde.
Direction musicale d’Alizé Lehon, mise en scène de Karelle Prugnaud : le Châtelet présente Histoire du soldat, de Ramuz et Stravinsky, opéra de poche circassien sur la guerre, l’amour et la mort.