Écorces

Note d'intention : Nous sommes au Puy-en-Velay en février 2021, et le notaire nous tend un papier avec des coordonnées cadastrales. 10 hectares de bois, divisées en 6 parcelles, disséminées sur trois communes de la Haute-Loire en plein cœur de l’Auvergne : voilà ce que mon frère, ma sœur et moi avons hérité. Je ne le sais pas encore, mais c’est un jeu de pistes qui commence pour moi, une enquête qui me mènera à la découverte des forêts du parc national du Forez, de villages oubliés, de sentiers escarpés sous un tonnerre grondant, d’une source filandreuse, d’une parcelle dévastée par une coupe rase… Un monde s’ouvre à moi : celui de l’histoire des forêts à travers les siècles, des plantations massives pour reforester les montagnes, des combats pour l’exploitation ou la préservation, des forêts primaires presque disparues d’Europe, et de notre rapport au vivant. Repartons du début. Il y a cette lourdeur administrative qui accompagne les deuils : pour la succession, il faut faire estimer la forêt. Perdue, je téléphone aux experts immobiliers du coin. Tous déclinent, l’un me rit même au nez : « Ah, ça, c'est la meilleure ! Faut appeler l’ONF, Madame ! Nous, on ne s’occupe pas des forêts, on est experts… IMMOBILIERS ! » J’apprends alors l’existence d’un métier nouveau pour moi, expert forestier. L’expert, au départ très enthousiaste, me fait miroiter un très bon potentiel financier des parcelles : « Votre père savait ce qu’il faisait ! C’est une très bonne région pour investir, très prisée. » Je suis surprise : c’est la première fois que mon père aurait fait un bon placement. Après visite des parcelles, J-P.B. me rappelle, son ton grave : « Je suis désolé Mademoiselle… Pour tout vous dire, vos parcelles n’ont que très peu de valeur sur le marché. » Il nous remet un dossier de 20 pages dans lequel il s’explique. Certaines parcelles sont déjà déboisées (ont-elles été achetées ainsi ou le bois a-t-il été pillé ? Nul ne sait…), d’autres sont trop pentues et difficiles d’accès pour être correctement exploitées. Le dossier s’achève sur une préconisation : « Ces terrains restent morcelés et manquent d’entretien. Il sera urgent de planter des arbres de type Pins Douglas, qui semblent offrir le plus de garanties face au changement climatique, pour optimiser le revenu possible. » Bien évidemment, c’est hors de question. Je ne connais rien à l’exploitation forestière, mais la seule chose que je sais, c’est que le Douglas incarne la logique productiviste et industrielle, que les forêts sont devenues des monocultures qui acidifient les sols et tuent la biodiversité, qu’on déverse des litres de pesticides pour les faire pousser, et qu’on envoie ces tonnes de bois standardisés coupés à blanc directement en Chine par containers… En d’autres termes, cela serait une hérésie pour la mémoire de mon père, écolo de la première heure. Je suis maintenant assurée qu’il n’avait aucun projet d’exploitation en tête, mais alors pourquoi a-t-il acheté ces bois ?
En prenant la carte, je constate que toutes ces parcelles enserrent le village de Saint-Vert, petite commune située à 64 kilomètres du Puy-en-Velay. Je fouille sa chambre, et tombe sur un vieux cahier d’écolier : un journal, qui s’ouvre sur la mémoire familiale et mentionne une grand-mère, Catherine Oléon, dont le récit aurait été oublié : « Elle est venue au monde dans une famille rurale paysanne en Haute-Loire, hameau de Font-de-Faux, Commune de Saint-Vert, avant qu’elle n’en fût chassée. » Puis plus rien. L’héritage de mon père, c’est donc un bout de terre de nos aïeux, celle qu’ils n’ont jamais pu s’acheter. Une parcelle de forêt pour sanctuariser leur mémoire. Un lopin de terre pour se trouver une place dans le monde à travers eux. Une revanche sociale aussi. Le geste de Lopakhine achetant La Cerisaie. Et pour moi, ces quelques hectares, c’est un lieu pour l’imaginaire. Une page ouverte et laissée inachevée, la possibilité d’un livre (ou d’une pièce) à déployer. Des milliers d’histoires de forêts du présent et des siècles passés. Un angle de vue pour raconter le monde, le comprendre et le rêver. Alors ces forêts, je m’y suis intéressée. Des histoires, je vais en raconter. Et comme ça, j’aurai peut-être l’impression de faire encore un bout de chemin avec toi, à travers bois. Alice Carré

Manon Combes est à l'affiche de Taire (interprétation - Espace 1789) en 2025, Le Bourgeois gentilhomme (interprétation - Opéra royal) en 2024, Petites histoires de la démesure (interprétation - Les Déchargeurs) en 2023 ou encore Crise de nerfs (Théâtre de l'Atelier) en 2021.

Paul Delbreil est à l'affiche de Les Crapauds fous (interprétation - Théâtre de la Renaissance) en 2024, Qu'il fait beau cela vous suffit (interprétation - Théâtre Dunois) en 2024, France (Théâtre El Duende) en 2022 ou encore J'ai toujours voulu faire bien (interprétation - Les Déchargeurs) en 2021.

Alice Carré est à l'affiche de Et le cœur fume encore (texte - Théâtre Jean-Vilar) en 2025, Zora Snake : Le Départ (texte - Les Plateaux Sauvages) en 2024 ou encore 1983 (texte - TGP - Théâtre Gérard Philipe) en 2023.

Lymia Vitte est à l'affiche de La Revue arc-en-ciel - Joséphine Baker (interprétation - Le Hall de la Chanson) en 2025, Parabolers sur les traces d’Alain Peters (interprétation - Le Hall de la Chanson) en 2025 ou encore Le Dernier Voyage (Aquarius) (interprétation - MC 93) en 2024.

Josué Ndofusu est à l'affiche de M comme Médée (interprétation - Théâtre de la Tempête) en 2023, Une télévision française (interprétation - Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines) en 2023, Ton père (Cinéma de Vanves) en 2022 ou encore Brazza - Ouidah - Saint-Denis (interprétation - Théâtre de l'Échangeur) en 2022.