T-Rex

Au Paradis, dans le grenier du Lucernaire, Antoine Gouy interprète avec un solide talent la pièce au réalisme glaçant, dans laquelle Alexandre Oppecini décrit les ravages du management néolibéral. Terrible !

On a vu déjà bien des pièces sur l’asservissement au travail, les cadences infernales et la déshumanisation induite par le capitalisme. Alexandre Oppecini va plus loin avec T-Rex. Son personnage n’est pas seulement broyé par la machine pour laquelle il travaille : il en devient un des rouages, accepte volontiers de se faire bourreau et se révèle un parfait exemple de cette banalité du mal qui fait passer de l’obéissance au consentement et du consentement à la revendication. À l’inverse du « I would prefer not to » de Bartleby, Alexandre, le héros de cette tragédie bureaucratique, ne résiste pas : il collabore.

Un comédien impressionnant

Antoine Gouy excelle dans ce rôle de valet de la finance qu’une promotion inattendue, due au récent suicide de son « n + 1 », transforme en chefaillon cynique. Il raille les grosses « ménopausées », les « pédés », les puants, les abouliques et les retardataires de son service. Il insulte Camille, dont il partage la vie, et qui subit les effets de sa transformation : le libéralisme contamine tout. Alexandre est un salaud ordinaire, que l’on peine à trouver sympathique. Antoine Gouy l’incarne avec subtilité. Il n’essaie pas de sauver cette tête à claques aux saillies assassines, mais ne le caricature pas non plus : son jeu prend le parti du naturalisme précis du texte, rendant d’autant plus efficaces les ruptures fantastiques qui le scandent.

Un spectacle formidable

En plus du rôle d’Alexandre, Antoine Gouy interprète les autres personnages de la pièce avec une force comique percutante et un art bluffant du masque théâtral : son visage et son corps se transforment à l’envi, et le comédien prouve alors son talent protéiforme. La mise en scène de Marie Guibourt est fluide. Le passage de jardin à cour, entre l’espace de travail et celui de l’intime, imprime un rythme haletant à la spirale du désastre, qui se déploie de scène en scène. Un spectacle formidable, au sens propre, c’est-à-dire redoutable et terrible.

Catherine Robert

Antoine Gouy : au théâtre, Antoine Gouy est à l'affiche de La Métamorphose des cigognes (interprétation - La Pépinière Théâtre) en 2024, Traité des passions de l'âme (MC 93) en 2011 ou encore Chroniques du bord de scène, saison 3 (MC 93) en 2010.

Marie Guibourt : au théâtre, Marie Guibourt est à l'affiche de Com' en couleurs (texte, mise en scène - Théâtre de la Gaîté-Montparnasse) en 2024, Sandra Colombo : Que faire des cons ? (mise en scène - Le Point Virgule) en 2023, François Guédon : Le procès Guédon (Le Point Virgule) en 2022 ou encore Charlotte des Georges : La Reine des Abeilles (mise en scène - Les Enfants du Paradis) en 2022.

Alexandre Oppecini : au théâtre, Alexandre Oppecini est à l'affiche de Main dans la main (texte - Théâtre du Marais) en 2023, Paroles d'étoiles - Mémoires d’enfants cachés (Comédie Bastille) en 2018 ou encore T-Rex, chronique d'une vie de bureau ordinaire (Théâtre de la Contrescarpe) en 2018.