[critique] Bâtiment 5 : Chronique d'une banlieue outragée

Quatre ans après Les Misérables (Prix du Jury au Festival de Cannes), Ladj Ly fait une nouvelle fois état des tensions sociales en banlieue parisienne. S'il se détache de la fureur crescendo de son prédécesseur, Bâtiment 5 n'en reste pas moins l'expression percutante d'un cinéma plus que jamais ancré dans l'actualité.
Dans une banlieue frappée par le mal-logement, Haby découvre le projet urbanistique du nouveau maire, Pierre Forges, programmant la destruction d'un immeuble d'habitation. Mené par la jeune femme, un groupe de résidents organise la résistance... Les premiers plans aériens du film suffisent à donner le ton et à poser le sujet : la réalité sociale des banlieues. Quand elle décide de revenir à hauteur d'homme, la caméra se fraie un chemin dans les escaliers serrés d'un immeuble, qu'emprunte au même moment un cortège funèbre. Dépourvue de dialogues, cette ouverture quasi-prophétique révèle une première évidence : Bâtiment 5 décline les motifs préalablement posés par Les Misérables. Ceux d'une France multiculturelle que l'on cherche à insidieusement discréditer.
On reconnaît alors la manière toute particulière qu'a Ladj Ly de filmer les entrailles d'un territoire agonisant, de raconter ses espaces meurtris. Cinéaste de terrain, il n'en n'oublie pas pour autant ses personnages. Son récit choral fait ainsi résonner la désillusion et la fureur d'habitants méprisés par la classe politique locale. D'abord à distance, puis collé à eux, le réalisateur scrute leurs visages, à l'affût des conflits intérieurs, et veille à faire entendre toutes leurs voix.
Détruire pour mieux reconstruire
Plutôt que d'emprunter les sentiers du thriller, le film reste sur la ligne du drame social, se préservant ainsi de tout manichéisme facile. Moins intense que son prédécesseur, le résultat n'en reste pas moins une œuvre dense, frappée par des fulgurances formelles et bardée d'une colère prête à imploser à tout moment. S'il perd de son ambiguïté dans une conclusion, maladroitement amorcée et subitement écourtée, Bâtiment 5 se rattrape in extremis par son propos final : à défaut de dessiner une perspective optimiste, la trajectoire de Haby laisse penser qu'un changement est possible. Mais à la seule condition de poursuivre la lutte et de renverser le système. Pour incarner les visages de cette résistance, mais aussi ceux de la fuite morale, le réalisateur s'entoure, une fois de plus, d'un excellent casting, mené ici par l'étonnante Anta Diaw et le troublant Alexis Manenti.
Bâtiment 5, sortie le 6 décembre 2023 : toutes les séances à Paris et en Île-de-France
Partager cet article sur :
Nos derniers articles
Près de trois ans après Les Crimes du futur, le réalisateur canadien David Cronenberg signe un film cryptique et poétique sur le deuil. À la croisée des genres, Les Linceuls fascine autant qu'il déroute.
Auteur de deux romans remarqués, Mourad Winter fait ses débuts de metteur en scène avec ce film aussi vif et drôle que grave et touchant.
Habitué aux sujets qui fâchent, le cinéaste Michel Leclerc s’attaque cette fois au mouvement #MeToo et à ses conséquences sur les rapports entre hommes et femmes.
Pour son premier long métrage, Mo Harawe brosse l’attachant portrait d’un enfant, de son père et de sa tante vivant ensemble dans un village du désert somalien, tout en posant un regard plein de douceur sur ce pays réputé violent, sans pour autant éluder la présence de la guerre qui rôde.