[critique] Fanon : Itinéraire d’un engagement.

Avec ce long métrage consacré à Frantz Fanon, Jean-Claude Barny éclaire, de façon édifiante, l’itinéraire humain, psychologique et politique d’un des plus grands penseurs et militants anticolonialistes du XXᵉ siècle. Sous le biopic, un vibrant questionnement sur la liberté et la haine.
D’origine martiniquaise, le psychiatre Frantz Fanon intègre l’hôpital de Blida alors que frémit l’insurrection algérienne. D’emblée, ses méthodes humanistes déplaisent, notamment au directeur. Il persiste, entame son ouvrage Les Damnés de la terre, se confronte aux violences de tout bord et s’investit dans ce qui n’est encore qu’une rébellion. Sur un sujet brûlant et toujours à vif, loin d’être monolithique dans son propos, Jean-Claude Barny décline une tragédie tant personnelle que collective, tout en interrogeant avec justesse les ravages engendrés par le colonialisme et le racisme, à l’aune de l’œuvre phare de Frantz Fanon.
Quand la violence et la haine embrouillent les valeurs.
Dans les périodes de crise, à plus forte raison durant une guerre, les valeurs et les psychologies perdent leurs repères jusqu’à sombrer dans l’ambivalence. Émaillant son film de citations empruntées au fameux ouvrage de Frantz Fanon (Les Damnés de la terre), Jean-Claude Barny creuse cette zone où le gris s’impose. Ainsi du soldat tortionnaire qui finira par désobéir, de l’adolescent qui assassine un de ses amis aussi jeune que lui pour venger sa famille, itérant la haine des adultes, de ce chef rebelle étranglé par les siens car trop démocrate… A contrario, les lumières, elles, sont tranchées, et la musique aux tonalités arabo-jazzy plaintives à la Miles Davis renforce le caractère oppressant et pénétrant de ce drame que fut le colonialisme pour tous les êtres et les pays concernés.
Toutefois, sans trahir les propos corrosifs de Frantz Fanon, le réalisateur n’oublie pas qu’il s’agit d’un film et qu’il éveillera d’autant mieux les consciences que son discours et le spectacle n’assèneront pas son point de vue. Et de fait, outre d’aviver nos émotions et notre mémoire avec efficacité, son troisième long métrage est une salutaire invitation à revisiter par nous-même l’Histoire, nos valeurs et « le » politique au sens de l’engagement citoyen sans jamais sombrer ni dans le moralisme ni dans le jugement facile. À ce titre, l’olivier, symbole de la paix, virant fugacement au rouge, conclut ce récit bouleversant et dérangeant sur une magnifique métaphore.
Fanon, sortie dans les salles le 2 avril 2025 : toutes les séances à Paris et en Île-de-France
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