[critique] La Salle des profs : À la recherche du civisme perdu

Pour son quatrième long métrage, Ilker Çatak trousse une comédie corrosive sur les dérapages auxquels peut mener la banale envie de résoudre une histoire de vol en salle des profs, et confronte le spectateur au sentiment d’injustice qu’il a pu ressentir un jour ou l’autre.
Pour découvrir qui vole dans leur salle quand elle est vide, Carla, prof principale, la filme en secret avec son ordinateur. L’appareil capte une manche de chemisier très reconnaissable. La personne incriminée refusant d’admettre sa responsabilité sous prétexte qu’on ne peut clairement l’identifier, Carla en parle à la directrice. Commence pour elle une véritable descente aux enfers.
Sur un thème aussi quotidien et banal qu’un délit entraînant un acte de civisme, Ilker Çatak interroge salutairement notre lien collectif via les dérives d’une société dans laquelle chacun a sa propre notion de la justice au détriment de l’intérêt général.
Quand l’idée qu’on se fait de la Justice se révèle toute relative
Quoi de plus naturel pour un prof que de chercher à savoir qui les vole dans leur salle en leur absence ? Partant de cette envie à tout le moins humaine, Ilker Çatak tisse un film se révélant être tout à la fois un polar captivant, une étude de mœurs jubilatoire et un pamphlet politique (au sens étymologique de « gestion de la cité »). En effet, il nous plonge dans les excès d’une époque qui, entre le juridisme des temps et la peur de voir sa réputation entachée sur les réseaux sociaux, préfère les discussions sans fin à l’action. Ou, écrit autrement, qui choisit d’éluder ses responsabilités plutôt que de les assumer avec les risques afférents.
Ainsi, au prétexte légitime qu’il faut respecter tout un chacun, peut-on considérer les ados à l’égal des adultes ? Ou bien, entre soupçon et accusation, sur quelles bases peut-on s’appuyer pour être solidaire… et jusqu’où ? Au fil d’une intrigue prenante, ce passionnant questionnement s’incarne avec acuité en Carla dont nous suivons avec empathie les aléas, piégée qu’elle est entre la justesse de la bonne attitude à tenir et sa volonté de Justice. Finalement, sans être ni manichéen ni moralisateur, le récit se révèle être une salutaire invitation à penser les fragilités de notre société, en quête permanente d’un équilibre capable d’allier harmonie idéale et pragmatisme nécessaire. Ce qu’évoque malicieusement le Rubik’s cube final, autre jolie métaphore nous rappelant ce qui structure notre démocratie.
La Salle des profs, sortie le 6 mars 2024 : toutes les séances à Paris et en Île-de-France
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