[critique] Les Feuilles mortes : L’amour en espérance

À Cannes, en 2022, le multi récompensé Aki Kaurismäki annonçait sa retraite. Un an plus tard, il y obtient le prix du jury avec ce quatrième volet de sa trilogie (!) du prolétariat, un bijou de comédie romantique autour de petites gens luttant pour s’aimer face à un destin contraire.
À Helsinki, Ansa Grönholm est licenciée du supermarché où elle travaille pour avoir gardé un produit périmé qu’elle aurait dû jeter. Ouvrier sur un chantier, Holappa est renvoyé car il s’est blessé en état d’ivresse. Flanqués de leurs amis respectifs Liisa et Huotari, ils se rencontrent dans un karaoké local. C’est le coup de foudre. Une nouvelle histoire pleine de tendresse et d’humour du réalisateur finlandais. Mais aussi son véritable au-revoir ?
Entre Prévert, Godard et Chaplin
On reconnaît Ari Kaurismäki à sa « patte » : une mise en scène posée, quasi théâtrale, un humour noir tantôt à froid comme dans L’Homme sans passé (2002), tantôt burlesque, ainsi avec Leningrad cowboys go America (1989) ou absurde avec J’ai engagé un tueur (1990), et, bien sûr, une fibre sociale profondément humaniste : Le Havre (2011), Au loin s’en vont les nuages (1990), La Fille aux allumettes (1989). Mais loin de tout militantisme, sa tendresse pour les « petites gens » rappelle celle d’un Jean Renoir. En atteste une fois encore ce Les Feuilles mortes, référence à la célébrissime chanson de Prévert et Kosma qui accompagne, du reste, le générique de fin.
Comme chaque fois, avec une pudeur de tous les instants, ses cadrages invitent notre regard à repérer les détails incongrus (Holappa fumant sous un panneau qui l’interdit), les couleurs sont savamment disposées selon les lieux et les personnages (majoritairement bleu, rouge, jaune et vert), la musique définit l’action voire la rend irrésistible quand, par exemple, elle accompagne des visages impassibles, des regards vides, des corps lourds et immobiles sur un rock ou un mambo.
Les dialogues sont de cette aune : laconiques et décalés. Et surtout, il y a, comme le plus souvent chez lui, ce fond d’espérance qui rend, paradoxalement, sa sombreur solaire. Mais le réalisateur finlandais nous offre en plus, sous forme de clins d’œil discrets et savoureux, le nom des maîtres qui ont inspiré son univers : Godard, Bresson (cités dans le film) et Chaplin, à qui il emprunte la musique de Les Lumières de la ville (1931) et dont le nom clôt cette œuvre magnifique et roborative via une hilarante pirouette que nous ne dévoilerons pas.
Les Feuilles mortes, sortie le 20 septembre 2023 : toutes les séances à Paris et en Île-de-France
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