[critique] Un simple accident de Jafar Panahi
Figure de proue du cinéma iranien et visage de la résistance à la répression dans son pays, Jafar Panahi construit une œuvre puissante, dans la lignée de Kiarostami.
Le titre du dernier film de Jafar Panahi reflète la simplicité de l’argument de départ : Eghbal, sa femme et sa petite fille, s’arrêtent un soir dans le garage de Vahid. Celui-ci pense identifier l’homme qui l’a torturé lors de son passage dans une prison iranienne : Vahid peut enfin se venger. Mais il n’a jamais vu le visage de son bourreau. Est-ce bien lui qu’il tient désormais à sa merci ? Est-on sûr qu’en enterrant un homme vivant, on enterre aussi ses traumatismes ?
Vahid est déterminé à tuer l’homme qui a brisé sa vie, mais ne veut pas assassiner un innocent. Il part donc à la rencontre d’autres victimes afin qu’elles l’aident à confondre avec certitude son prisonnier, et le scénario prend rapidement un tour inattendu. Salar, Shiva, Golrokh, Hamid, se prêtent de plus ou moins bonne grâce à l’identification de l’homme, chaque personnage campant une position morale différente, entre soif de vengeance et désir de se reconstruire.
Le thriller et le road movie s’invitent dans ce film à l’ancrage réaliste, qui maintient finement le doute jusqu’à la fin sur l’identité d’Eghbal. Les personnages, embarrassés de leur prisonnier, hésitent et tergiversent sur la décision à prendre sur son sort, ce qui donne lieu à des séquences poignantes. Mais l’humour n’est pas en reste et le film surprend par ses moments de légèreté. Avec Un simple accident, Panahi fait montre d'une redoutable maîtrise scénaristique.
Anatomie d’une dictature
La dictature marque autant les corps que les esprits. Panahi ne triche pas avec la matérialité physique du prisonnier et la place qu’il prend dans le coffre de la voiture comme dans le souvenir de ses victimes présumées. Les personnages prêtent leurs visages à une population meurtrie et laissent entrevoir l’ampleur de la répression d’État. Geste politique et esthétique du cinéaste, il les filme dans le même cadre malgré leurs différends et leurs différences : Salar, Shiva, Golrokh et son fiancé Ali, Hamid, embarqués dans la vengeance de Vahid, ne peuvent faire autrement que de prendre une décision ensemble.
Figure de proue du cinéma iranien et visage de la résistance à la répression dans son pays, Panahi construit une œuvre puissante, dans la lignée de Kiarostami, avec des films comme Le Cercle (Lion d'or en 2000), Taxi Téhéran (Ours d’or en 2015), ou encore Trois Visages (prix du scénario à Cannes en 2018). Il signe ici un récit politique poignant, mais, surtout, un grand film de cinéma, couronné à Cannes cette année par la Palme d’or.
Un simple accident, sortie dans les salles le 1er octobre 2025 : toutes les séances à Paris et en Île-de-France
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