Saint Omer [critique] : Une mère monstre

© Les Films du Losange

Rama, jeune écrivaine d’origine africaine se rend à Saint Omer pour assister, en vue d’un prochain livre, au procès d’Alice Coly, jeune étudiante en philosophie d’origine sénégalaise, accusée du meurtre de sa petite fille de quinze mois.

Très directement inspiré de l’affaire Fabienne Kabou, qui, en 2013, avait tué sa fille en la laissant se faire emporter par la marée sur une plage de Berck-sur-Mer, Saint Omer est le premier film “de fiction” de la documentariste Alice Diop. Paris / banlieue, Noirs / Blancs, hommes / femmes : dans tous ses films, Alice Diop étudie les lignes de fracture qui traversent la société, en observant ce qui, autour de ces lignes, accentue la séparation ou favorise le rapprochement.

Dans Vers la tendresse (César du Meilleur court métrage en 2017), elle observait et écoutait une communauté masculine de banlieue, pour mettre en regard des images traduisant ses clichés virilistes et des paroles exprimant ses contradictions. Dans le bien nommé Nous, sorti en début d’année, elle proposait une série de portraits très divers, glanés en remontant la ligne B du RER, et développait ainsi une idée de la communauté fondée sur l’hétérogénéité. Dans Saint Omer, elle multiplie à nouveau les jeux de miroirs. Mais cette fois, elle interroge l’Autre absolu – c’est-à-dire “le monstre”, la mère infanticide – en se demandant en quoi elle nous ressemble (Alice Diop a d’ailleurs symboliquement donné son prénom au personnage), et en quoi elle fait partie d’un Nous.

Du fait divers au mythe

Filmant le procès dans la continuité, de façon quasi documentaire, la caméra fixe l’opacité d’Alice – taiseuse et assez froide -, observe comment son statut d’intellectuelle met en échec les stéréotypes sociaux, regarde son image se réfléchir dans les récits des différents témoins de l’affaire, et finalement montre le miroir qu’elle tend à Rama.

Introduisant dans l’équation la culture africaine (Alice prétend avoir été maraboutée) et l’histoire de Médée, Alice Diop s’attache encore une fois à décloisonner les univers et questionne la distance qui sépare réellement, d’une part la névrose ordinaire de la folie criminelle, et d’autre part le fait divers du mythe. Ce film profond et glaçant a obtenu le Lion d’argent à la dernière Mostra de Venise et représentera la France pour l’Oscar du Meilleur film étranger.

Saint Omer, sortie dans les salles le 23 novembre 2022 : toutes les séances à Paris et en Île-de-France

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