[critique] Le Livre de l’intranquillité : Acteur protéiforme pour poète innombrable

© Christophe Raynaud de Lage

Près de vingt ans après avoir adapté et créé Le Livre de l’intranquillité, François Marthouret revient hanter l’œuvre de Pessoa au Petit Saint-Martin. Anne Kessler met en scène cette âme aventureuse.

« Hystéro-neurasthénique » avait diagnostiqué Fernando Pessoa à propos de lui-même, si tant est que l’on puisse enfermer le poète multiple dans les bornes d’une identité à laquelle il passa sa vie à tenter d’échapper. « Les poètes n’ont pas de biographie, dit Octavio Paz, leur œuvre est leur biographie. » Fernando Pessoa mena une vie littéraire aussi complexe que secrète : après sa mort, on retrouva 27 543 manuscrits dans la chambre de ce modeste employé d’une maison de commerce et on s’aperçut qu’il s’était inventé 72 hétéronymes, à la personnalité et à l’œuvre radicalement différentes.

Le sens caché du sens

Même si le lent et minutieux travail de dissimulation et d’invention de Pessoa interdit de réduire l’originalité de ses frères d’écriture à une expression artistique unique, on suppose que Le Livre de l’intranquillité, journal intime qu’il tint pendant presque toute sa vie, en l’attribuant à un modeste employé de bureau, Bernardo Soares, est un portrait de cet homme dont la vie ne fut flamboyante que par procuration, qui ne parvint jamais à aimer celle qui pourtant l’adorait, qui ne se reconnaissait pas sur les photographies, et dont François Marthouret est à la fois l’interprète et la créature, le peintre et le modèle, dans une savante et troublante mise en abyme.

Pour un théâtre de l’être

En éternel jeune homme, le comédien revisite, avec Anne Kessler, le spectacle créé il y a vingt ans en compagnie d’Alain Rais. Lucidité et humour, mélancolie et désenchantement, enthousiasme et fatigue de devoir être soi dans la spirale de ses états d’âme, le comédien n’est pas tout à fait le poète (dont la marionnette le guette en fond de scène), ne se voit pas dans les miroirs, mais se reflète dans les yeux du public qui le fait être en le regardant. Il faut être grand comédien pour marier ainsi force et humilité : François Marthouret est un énième hétéronyme ; il est la variation poétique d’un texte dont le mystère cryptique échappe en même temps qu’il se livre.

Le Livre de l’intranquillité au Théâtre du Petit Saint-Martin : réservez vos places avec L'Officiel des spectacles

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