[critique] Tardes de soledad : La mort est son métier

© Dulac Distribution

En suivant le toréador Andrés Roca Rey et sa quadrille, Albert Serra signe un film aussi éprouvant que passionnant, au dispositif singulier et au positionnement éthique indécidable.

Si Tardes de soledad marque la première incursion d'Albert Serra dans le documentaire, il n'en prolonge pas moins les motifs de ses fictions les plus récentes. Comme, dans Pacifiction, se voyaient mises à nu la vacance du politique, la pantomime de son exercice, sa parole proliférante et pour autant comme coupée de tout effet sur le réel, l'auteur capte ici la mise en scène d'un pouvoir à la fois symbolique (l'arène est une scène recuite de traditions séculaires) et effectif (c'est bien la mort qu'on y administre). Comme, dans La Mort de Louis XIV, était scruté le lent dépérissement d'un corps, Serra documente ici, dans le détail, le calvaire des taureaux...

Filmant sous plusieurs angles simultanément, l'auteur dirige ses caméras et ses micros vers l'arène, excluant le public, réduit pour l'essentiel à une vague clameur. La distance à laquelle se trouvent d'ordinaire les spectateurs étant donc abolie, le film donne à voir les temps d'attente et d'observation du torero, sa fatigue, la tension de son corps, les efforts que, d'ordinaire, il s'agit de soustraire aux regards.

À chacun selon sa morale

Mais Tardes de soledad est avant tout affaire de paradoxes. Acclamé par le public, porté aux nues par son staff (« Tu es grand » ; « Tu es unique, mon cœur »...), Andrés n'en est pas moins seul parmi les siens, auprès desquels il quémande en vain jugement honnête et réponses à ses inquiétudes. La supposée noblesse du combat s'accompagne des saillies vulgaires de sa brigade (« Putain de taureau, rejoins ta mère ! »), et, au virilisme exacerbé des mots (« Toi, t'as des couilles ! »), répondent, régulièrement, des accents ouvertement queer.

Bien conscient, avide même, du caractère controversé de son sujet, Serra signe en définitive un film au positionnement éthique indécidable. Les aficionados y trouveront leur lot de morceaux de bravoure, et peut-être la confirmation qu'il se joue dans l'arène quelque chose de l'ordre de la vérité (mais laquelle ? l'Homme écrit sa « légende », l'animal répond à des signaux de douleur, de mouvement ou de couleur). Les opposants seront confortés dans leur dégoût d'un rituel appelé, sans doute, à disparaître, et dont Tardes de soledad pourrait alors composer le témoignage sans fard, et à destination des temps futurs.

Tardes de soledad, sortie le 26 mars 2025 : toutes les séances à Paris et en Île-de-France

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