Mad God [critique] : Le film monstre d’un artiste visionnaire

D'un récit minimaliste, Phil Tippett, référence des effets spéciaux et de l’animation image par image, tire un film inclassable, effrayant et fascinant.
Dans un monde infernal peuplé de monstres et ravagé par la guerre arrive un soldat venu d’ailleurs, chargé d’une importante mission… De ce récit minimaliste, le grand Phil Tippett, référence des effets spéciaux et de l’animation image par image, tire un film inclassable, effrayant et fascinant, parcouru de tétanisantes visions de cauchemar qui feront date.
Si le nom de Phil Tippett est inconnu du grand public, il a pourtant marqué de son talent hors-norme un grand nombre de films immensément populaires. Les deux premiers Star Wars, Indiana Jones et le temple maudit, RoboCop… Sans parler de Jurassic Park, durant le tournage duquel Tippett vit l’arrivée d’effets spéciaux numériques d’une qualité telle qu’il pensa avoir basculé, lui le spécialiste de l’animation d’objets réels, du côté des dinosaures… C’est ainsi qu’il interrompit son travail sur Mad God, débuté à la fin des années 80, croyant son art obsolète. Il reprit finalement ce projet 20 ans plus tard, et vient enfin de terminer ce long-métrage fou et furieux contenant la substantifique moëlle de ses obsessions esthétiques et philosophiques.
Tourné quasi intégralement en « stop-motion » (la position des objets est modifiée manuellement à chaque photogramme afin d’obtenir l’illusion du mouvement), ce film plonge le spectateur dans un monde d’une noirceur insondable, double grotesque du nôtre, où robots et créatures infernales dominent des êtres humanoïdes réduits en esclavage. Un soldat, envoyé par on ne sait qui, traverse ruines, dépotoirs, usines et champs de bataille, assistant à des scènes atroces et délirantes évoquant les célèbres tableaux de Jérôme Bosch.
Voyage au bout de l’enfer
Dépourvu de dialogues, Mad God peut dérouter de prime abord. On se laisse pourtant vite prendre par ce monde inquiétant obéissant, semble-t-il, aux lois du rêve, et que chacun interprètera selon sa sensibilité. Visuellement remarquable, le film déploie des décors dantesques et une atmosphère somptueusement morbide. On se rend vite compte que ces représentations monstrueuses, loin de n’être qu’un vain étalage d’horreurs, figurent une sorte de parcours halluciné du XXe siècle, marqué par les deux guerres mondiales et les sommets d’absurde et d’abomination auxquelles elles donnèrent lieu. Dans cette vaste relecture fantasmagorique de notre passé récent, on reconnaît la folie idéologique, le totalitarisme et l’aliénation sous toutes ses formes. On frémit, tout en s’émerveillant qu’une telle œuvre ait pu voir le jour.
Mad God, sortie en salles le 26 avril 2023 : toutes les séances à Paris et en Île-de-France
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