[critique] La Zone d'intérêt : Dans le voisinage immédiat du mal

© Leonine

Avec cette adaptation glaçante de l'ouvrage de Martin Amis, présentée à Cannes l'an passé, Jonathan Glazer aborde, à la juste distance, l'horreur de la Destruction des Juifs d'Europe.

Périlleuse entreprise que celle consistant à représenter, quels que soient l'angle et le degré de frontalité choisis, les camps d'extermination et la destruction des Juifs d'Europe. Qu'est-il possible de montrer ? Comment ne pas trahir la mémoire des victimes, ni céder à la spectacularisation des événements ? Comment échapper à l'obscénité ? En conséquence de quoi, chaque évocation de la Shoah se voit tenue, à ses risques et périls, d'inventer son propre régime de représentation, de reprendre à zéro le cinéma en somme, et de s'interroger sur le sens, la pertinence et la valeur morale intrinsèques des images.

Le nouveau long métrage de Jonathan Glazer, auteur de deux des plus beaux films états-uniens de ces quinze dernières années (Birth et Under the Skin), s'attèle ici à la tâche en usant d'autant de précautions que d'audace. Adapté d'un roman de Martin Amis, lui-même inspiré de la vie de Rudolf Höss, commandant des camps d'Auschwitz-Birkenau de 1940 à 1943, le film narre le quotidien dudit Höss et de sa famille, dans leur maison jouxtant ceux-ci.

Le dispositif idoine

Si le film repose sur un dispositif, il ne s'y résume pas, et ne ploie jamais sous son poids, composant moins un pensum théorique qu'une expérience de spectateur. Un spectateur qu'il invite à être témoin d'une monstruosité poussée à son paroxysme : on peut donc vivre en voisin d'Auschwitz, en savoir la fonction, en entendre les bruits, en sentir les odeurs, voir fumer les cheminées des fours crématoires, tout en continuant à vaquer à ses petites occupations...

Ce dispositif, quel est-il ? Glazer a fixé des caméras à différents endroits du décor – imitant en cela les systèmes de vidéosurveillance, ou de téléréalité – et, absent du plateau, filmé ses interprètes sans recourir à la moindre lumière artificielle, pour composer des images d'une netteté et d'une proximité perturbantes. Et observer, à la juste distance toujours – n'autorisant ni pitié, ni connivence –, la criminelle indifférence des personnages.

L'immonde a ses commanditaires, ses exécutants – au premier rang desquels Rudolf Höss –, ses complices. Et il a ses voisins, qui s'occupent de leur jardin pendant que des déportés sont conduits à la chambre à gaz. Ce dont le film est la glaçante illustration.

La Zone d'intérêt de Jonathan Glazer, sortie le 31 janvier 2024 : toutes les séances à Paris et en Île-de-France

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